« Nous serons de retour au camp vers 14h. Ne venez pas avant au risque de vous faire manger par les loups ». A quelques heures du départ, le dernier message de notre hôte, Tinja Myllykangas, sonnait comme la promesse d’une immersion dans un univers à la fois féérique et hostile. Le projet consistait à vivre aux côtés d’un couple de mushers – guide de chiens de traineaux - au cœur d’une forêt dans le grand nord de la Laponie finlandaise. Après une étape à Helsinki depuis Paris et un dernier vol vers Ivalo à 235 km au nord du cercle polaire arctique, il fallait encore faire du stop vers Inari, encore plus au nord, puis trouver la cahute d’Alex Schwarz et Tinja Myllykangas au milieu de la route Angelintie. L’endroit n’est pas seulement reculé. La zone sauvage de Muotkatunturi est complètement isolée de toute forme de civilisation.
Notre arrivée est annoncée par un concert de hurlements d’une meute de quatre-vingt-cinq chiens et chiens loups cachés entre les pins d’une forêt dense. Au bout du chemin, notre carrosse en acier reste le dernier lien avec la modernité. Il repart rapidement et nous laisse plantés au milieu d’une horde de canidés hystériques. Trois cabanes sont plantées là. Une volute de fumée s’échappe de l’une d’elle tandis que les derniers rayons du soleil s’extirpent depuis l’horizon. Il est quatorze heures. Cette partie du globe s’apprête à entrer dans un hiver froid, long et… nocturne. Le soleil ne brillera pas dans le ciel avant plusieurs semaines.
Premiers pas dans la meute
Mais rien ne perturbe Tinja, l’hôte des lieux. Sans s’arrêter, elle nous salue de la main et nous souhaite la bienvenue en galopant d’une cage à l’autre pour nourrir, soigner et cajoler une meute de chiens composée de huskys sibériens, de chiens du Groenland, de huskys d’Alaska et d’une espèce rare, des ‘chiens loups’, plus loup que chien d’ailleurs. Ces animaux ne sont pas autorisés en Europe, mais elle possède de rares spécimens ‘conçus’ en Alaska. Cette trentenaire aux joues rosies par le froid et aux yeux d’un bleu arctique ne ménage pas ses efforts pour dorloter sa troupe. Le gouvernement finlandais l’autorise à avoir ce genre d’animaux rares à ses côtés au regard de son expérience et de sa force de caractère. Tinja vit en totale harmonie avec la nature depuis sa plus tendre enfance. Voilà onze ans qu’elle élève des chiens de traineaux à sa manière, au milieu de nulle part, sans eau, ni électricité.
Comme si le genre humain n’était plus vraiment le sien, on remarque très vite son amour sans limites pour les animaux et une forme de méfiance envers ses propres congénères. Elle fait instinctivement penser à Mogwli, le héros du roman de Rudyard Kipling dans Le Livre de la jungle, avec la forêt de Laponie en lieu et place de la jungle. « J’ai grandi dans une cabane de ce genre à Muotkatunturi pas très loin avant d’arriver ici. On a vécu dans celle-ci », indique-t-elle en pointant du doigt la maisonnette en bois dont s’échappe de la fumée. « C’est celle de ma mère désormais. Nous vivons dans l’autre avec Alex (Schwarz, son compagnon) », ajoute-t-elle avant de recevoir les papouilles de Susi (qui signifie loup en finlandais), un chien loup au gabarit hors norme. Le décor est planté et plutôt surréaliste. Le couple vit au milieu de la meute, dans une cabane d’à peine vingt mètres carré, en bois, sans eau courante ni électricité.






























